Je demande de l’eau. Une gamine me prie d’entrer. Belle maison vers Bief des maisons. Au robinet je remplis mes bidons.
- Prenez, dit la gamine, nous en avons beaucoup.
Mois : mai 2010
Tandis que je bêche, la cantatrice adossée au puits se maquille. Son sac de cuir boursouflé contient un attirail et des téléphones. Je plante la pelle carrée, lève la terre et j’avance sur une ligne. Dans l’herbe autour de la cantatrice, des crayons, un miroir, une poudre, des crèmes, une brosse. Elle finit par les cheveux qu’elle ramasse pour moitié en chignon, le reste coule en mèches sur sa poitrine. Puis dans la cage d’escalier, elle chante un peu d’opéra et dit à Gala:
- Maintenant que c’est fait, on va pouvoir passer à autre chose.
Au début d’un projet l’enthousiasme peut-être défini comme la distance entre les moyens et la fin. L’inappropriation ou le manque de moyens une fois constaté amène la ruse: la fin est readaptée. Cette étape pragmatique est parfois suivie d’une étape fondamentale qui bouleverse le projet: les moyens rassemblés sont présentés comme des fins atteintes. Ici la ruse cède à la tricherie. Tel est le régime de toute chose qui s’accomplit dans le temps.
Le règne de la quantité, tant redouté de Calaferte. La notion de partage disparue, la notion de culture commune disparue, c’est désormais le tour de la langue. Faite des mots d’ordre ou de désordre. Qui reprend à son compte l’action. Chaque jour moins de marge de manoeuvre dans le monde réel, et une langue chaque jour plus matérielle, au service de la délivrance brutale du corps (le juron, le cri, la formule, le cliché.), une langue compensatoire.