Mois : mai 2010

Mono­logues en place des con­ver­sa­tions. Là où l’un s’ar­rête, l’autre reprend — pas de rap­port. Ce que je dis, ne m’in­téresse plus, cela m’en­nuie. A quoi bon ajouter son mono­logue à ceux des autres? Dans ces con­di­tions, la parole n’est qu’un effort.

Thème majeur, sal­va­teur de la lit­téra­ture à venir, le silence.

Cent-vingt kilo­mètres d’ef­forts pour aboutir à Saint-Claude, sept heures que je pédale. Ressor­tir du val­lon est éprou­vant. L’heure suiv­ante chaque tour de roue me coûte. Lorsque j’ar­rive à la mai­son, Gala est en com­pag­nie de la can­ta­trice lau­san­noise et d’un améri­cain éleveur de mou­tons qui boit trois bouteilles de vins dans la soirée.

Domaine du Chanet, Ornans, un camp­ing et d’emblée: ” Je n’ai rien à votre nom.” Du moins la dame est là, une pan­car­te indique en effet “Pas d’ac­cueil entre 12h00 et 18h00. Le con­seil: “Installez-vous” La dam trou­ve quelque chose dans son reg­istre. Ah, vous faîtes par­tie des écrivains invités par le Con­seil région­al…! Elle tend une clef, la 49. Les car­a­vanes sont étagées sur trois rangs. J’en compte dix-huit. Pas toutes mar­quées d’un numéro. Le jar­dinier s’of­fre pour me guider.
- Vous avez un bun­ga­low ou une car­a­vane.
- Une car­a­vane je crois, la 49.
- Ah non, ça c’est un bun­ga­low… la 49 hein? Je ne suis pas sûr… Je ne con­nais pas tous les numéros.
Et il retourne à sa corvée de chiottes.
Je me lave avec du déter­gent vais­selle oublié dans un évi­er et de la mousse à ras­er, j’en­file des mocassins et une chemise, je rejoins l’édi­teur sur son stand du Salon du livre d’artiste. MM, l’autre écrivain, est déjà là, au stand, plongé dans une lec­ture. La heures passent, il ne dit rien. Puis soudain, deux heures plus tard, lorsque j’ai une con­ver­sa­tion avec l’édi­teur du stand voisin, il m’in­ter­rompt.
- Je sais tout des auteurs de la Beat.
Sa femme con­firme et elle explique qu’ils ont acheté à Tanger des objets de Paul Bowles. Des objets signés Paul Bowles. Des objets qui ont appartenu à Paul Bowles.
J’en déduis que Paul Bowles sig­nait sa brosse à dents, sa fourchette, ses culottes.
Dans l’après-midi nous pas­sons chez Aldi pour acheter du vin. C’est un super­marché de la ban­lieue de Bucarest sous Ceauces­cu. Un paquet de pâtes, trois plaques de choco­lat, six bouteilles de lait, trois de vin. Si nous achetons une bouteille, elle ne sera jamais rem­placée. Les employés, l’air inqui­et, errent entre les éta­lages. Nous ressor­tons les mains vides. S. s’ex­cuse. Je pro­pose de me ren­dre au cen­tre-ville. Trois kilo­mètres dans les gaz sur un trot­toir mis­érable, enfin une épicerie. Plutôt que de ren­tr­er par la grande rue, j’emprunte un sen­tier con­tre la Loue. Au bout de 500 mètres, il est fer­mé au bar­belé. De retour au salon, nous aval­ons un verre de Pous­lar, le cru d’Ar­bois pris chez l’épici­er, puis le salon ferme. Au restau­rant, con­ver­sa­tion sur la cul­ture, donc sur rien (les expo­si­tions qu’il faut avoir vues et qu’on a mal­heureuse­ment man­quées…), puis retour dans la car­a­vane. Le matin, tôt, nous nous diri­geons vers la cafétéria. La camp­ing dis­pose d’une café­te­ria. Un garçon aux cheveux teint de roux apporte du pain décon­gelé et une cafetière d’eau brune, du café. Aus­sitôt avons nous rem­pli nos tass­es, il reparaît.
- Je reprends la cafetière, il y a d’autres clients.

En route pour Ornans, je dors à Noze­roy, vil­lage forter­esse du Haut-Jura. La stat­ue en pierre d’un homme domine le terre-plein (le gar­di­en du cimetière), je déroule mon sac, le matin je l’es­sore. Une car­a­vane dévérouille son sys­tème de sécu­rité, un cou­ple de Lille. Nous prenons le café.
- J’aime écrire des let­tres, dit le Mon­sieur, et il m’ar­rive de tra­vailler un peu mon style. J’ou­vre le dic­tio­n­naire des synonymes.