Meilleur jour de la semaine: ceux qui travaillent s’occupent d’eux-mêmes plutôt que de votre existence.
Grande distribution
Supermarché d’enseigne à Hyères. Gitans roumains couchés devant la porte coulissante, homme de la sécurité en box devant le portique, coursives sans clients. Musique en sourdine, chantier électrique au rayon fromages. Les prix sont indécents. Nous lorgnons les étiquettes l’air vexé. En sortie de parcours, un choix restreint dans le panier, dix caisses couvertes de capotes et barrées, deux scanners devant lesquels tendre ses produits pour l’encaissement automatique. Je fais appeler une employée. Elle va venir, me dit-on. Elle finit par venir. Elle avait un appel privé en cours. Le téléphone remisé, elle s’installe à la caisse, nous renvoie peser notre piment marocain, facture, remet sur le tapis roulant qu’elle débranche le panneau “fermé” et s’en va. Dans le couloir qui ramène au parking un Africain juché sur un escabeau frit une crêpe Suzette pour une grand-mère à chien.
Hyères-port
Un centaine de bateaux sont garés dans la Marina au-dessous du balcon où je lis. Des voiliers, des yachts, des petits croiseurs. Les plus imposants ont leur piscine et leur voiture embarquée, mais les promeneurs s’arrêtent avec admiration devant celui qui est monté de trois moteurs en ligne gros comme des baignoires et de désigner les moteurs, la main sur la bouche, en hochant la tête, l’air ravi.
Adorno
En même temps qu’il contribue à la définition de la Personnalité autoritaire pour ses commanditaires de la C.I.A Adorno critique dans ses Minima Moralia le potentiel totalitaire de l’Amérique. Il s’autorise ce jeu de dupes parce qu’en vertu de sa conformation anti-bourgeoise et anti-nationaliste il cautionne pleinement l’idée marxiste d’un homme nouveau, d’un homme à construire selon un patron idéologique. Or, toute idée de construction dirigée est par principe inhumaine.
Essai
Chaque matin dès dix heures, assis sur le banc de la capitainerie du port de Hyères occupé à écrire Mondes en construction. Acheté un cahier d’école ligné dans lequel je note au stylo passant selon la force du soleil d’un banc à l’autre (il y en a six au pied des façades). Conscient d’en dire trop, mais comment ne pas citer en amont les prérequis du raisonnement pour s’aider à penser la thèse, ce jeu, cette autoexcitation, au-delà du bien et du mal, au-delà de toute morale, dont j’établis qu’elle vaut instrumentation des individus pour la société du futur? Le premier jet qui n’est qu’un support au raisonnement sera amendé lors de la réécriture. Pour le reste, inquiétude lorsque je me dirige vers mon banc, satisfaction après devoir lorsque j’en reviens et retrouve la terrasse de notre appartement sur la Marina, ouvre la première bière du jour (une Hinano de Tahiti), prépare le repas (à base d’ail et de basilic frais), vais à la sieste et dors sur les idées.
Prémonitoire
Dans un squat, pièce vaste et sans mobilier dont je suis le seul occupant. Par la fenêtre sur rue, j’assiste à l’arrivée d’un camion rouillé long de cent mètres. Il sert d’habitation nomade à des équipes de squatters hostiles. Dans l’escalier de l’immeuble résonne un cri : “Alexandre, c’est toi qu’ils viennent chercher!”. Les soldats du camion testent leurs explosifs. Je vais à la commode, ouvre les tiroirs. La mitraillette n’a qu’un chargeur de 5 balles. Je cherche mon Glock. Je magasine. Enfile mon gilet, passe le holster et prends position. Un regard autour de moi : ” Ils veulent envahir cette pièce pour m’empêcher d’écrire”.
Jeu
Décidé d’écrire l’essai sur la notion de jeu auquel je viens de trouver après des jours de tergiversations un titre: Mondes en construction (titre), Politique du jeu (sous-titre). Suis allé repérer les bancs sur le port. Il y en a un à mi-distance de la Marina et des plages qui poussé dans un mur d’immeuble est peu convoité. Acheté un cahier au marché aux puces à une Russe qui vient de racheter le stock d’une librairie pour écoliers. Et ce samedi, afin de me débarrasser, j’ai mis au point le nouveau programme de cours d’AD-autodéfense; demain après le petit-déjeuner j’irai donc sur ce banc écrire l’essai. J’ai une semaine avant le vol Nice-Barcelone.
Grave (suite)
Couché à vingt heures. Douleur constante. Artère sous pression, respiration rapide. Impossible de fermer l’œil. La douleur augmente. Tête dans l’étau, bras qui tremble. A deux heures du matin, je me lève pour aller dire à Monpère d’appeler une ambulance. Je m’évanouis. La douleur devenue trop forte le cerveau s’est arrêté. Quand je reprends mes esprits, je suis au sol. A quatre pattes, retour dans le lit. Monpère et Nara me veillent. Verre d’eau, spray de secours. Encore deux heures d’insomnie. Je m’endors. Le matin, office de change du Petit-Chêne, achat d’une palette de bière et départ en voiture pour la Côte-d’Azur.