Genève

Afin de com­pléter l’une des salles du musée où se tenait le vernissage de son expo­si­tion, Mar­tin Kip­pen­berg­er acheta dans un mag­a­sin d’élec­tromé­nagers des rues bass­es un aspi­ra­teur muni d’un sac de toile qu’il posa dis­crète­ment par­mi les autres oeu­vres, avec son éti­quette de prix, avant de rejoin­dre la ver­rée (1989).

Agrabuey

Etape de mon inser­tion dans la com­mu­nauté, les voisins ont cessé de me dire qu’ils avaient tous vécus dans la bâtisse avant que je ne l’achète, qu’elle était une grange, une étable, une écurie, la demeure des veaux, des poulets, des porcs.

11 décembre

Ce que déjà je regrette: le silence.

20’000

Ma mai­son a tous les avan­tages. Mod­este, peu dégagée, elle est sans ouver­tures ni orne­ments. De plus, elle est inscrite dans une rue sec­ondaire et enfouie entre les mon­tagnes. Tout va bien. Cepen­dant, j’ai un prob­lème. La nuit, elle se trans­forme en sous-marin acous­tique. Comme un cerveau en surten­sion, elle respire et souf­fle d’un radi­a­teur à l’autre des litres d’eau qui trans­for­ment le vol­ume d’habi­ta­tion en une expédi­tion de Jules Verne à tra­vers les Océans.

Littérature

Je lis Dos­toievs­ki, je peine, j’y arrive, cela m’in­téresse peu — j’ad­mire. Je lis Hugo, je peine, je n’y arrive pas, je me dés­in­téresse — n’ad­mire pas. Le Russe par­le des bour­geois en homme du peu­ple, le Français par­le du peu­ple en bourgeois.

Anarchie

Avoir peur des gens au pou­voir, rien de plus nor­mal. En liq­uidant leur per­son­ne, ils ont liq­uidé leur peur. Il sont moins qu’eux-mêmes. Ils sont coal­isés. Ils ne sont, dans le groupe fonc­tion­nel, que le résul­tat de la divi­sion arith­mé­tique. Irre­spon­s­ables et tout-puis­sants. A l’op­posé, il y a le principe anar­chique. La souf­france que pro­duisent la soli­tude et la tra­ver­sée de l’in­cer­tain, la peine et le lou­voiement, autant de mal­adies natives de l’homme, indéracin­ables, c’est à dire fon­da­tri­ces — elles doivent être sup­port­ées. Ce sont les guides. Il faut les honorer.

Dieu

Ecouté trois fois ce soir le Mis­erere mei de Gre­go­rio Alle­gri par le choeur du King’s col­lege: une  grâce qui met les larmes aux yeux.

(N)

Occupé à mes recherch­es sur Naypy­i­tav où je retourne en jan­vi­er. Je cherche sur place des indi­vidus qui par­leraient une de nos langues et le bir­man. Pour ruser, je lance le moteur sur les aggloméra­tions satel­lites sachant que la cap­i­tale est plus par­ti­c­ulière­ment sur­veil­lée par les mil­i­taires. Et trou­ve six pro­fils. Plus je les regarde, plus je com­prends qu’ils ont été créés dans un bureau. Ils n’ex­is­tent pas. Pho­to prise ici, iden­tité là, texte de présen­ta­tion inven­té… “Pro­fil not ver­i­fied.” “Last login: 2 years and 11 months.” “Not live any­more.” “Response over one week.” 

Claque

Ren­con­tré l’autre jour, à Vidy, cet homme à demi-chevelu, coif­fé d’un cha­peau de feu­tre qui me tira un matin, sans rai­son, une claque alors que j’é­tais ado­les­cent et même petit dans la gare de Lau­sanne. Il me parut vieux. Les mots qu’il artic­u­la ne par­laient que de san­té. La sienne. Fuyante.

Cheval

Le fac­teur cheval eut l’in­tu­ition que le Palais devait être l’oeu­vre de sa vie lorsqu’il trébucha sur un cail­lou à la forme originale.