Mois : avril 2020

Dans l’en­tourage, sur les gazons courts, au pied des sap­ins, devant les chalets, ce matin tôt, beau­coup trop tôt à mon goût, cha­cun s’est remis au tra­vail, ratis­sant et creu­sant et bal­ayant — comme pour s’as­sur­er que le tra­vail n’al­lait pas dis­paraître, qu’il était là, en attente, et qu’il s’agis­sait de l’honor­er tel un Dieu.

Si ventes il y a, elles ne seront pas aug­men­tées. Retranché dans son dou­ble apparte­ment de Paris, mon édi­teur m’ex­plique que les librairies sont clos­es, que les sites général­istes priv­ilégient les pro­duits “à forte valeur ajoutée” et que pour les vendeurs de livres en ligne aucun réas­sort n’est pos­si­ble toute dis­tri­b­u­tion étant par ailleurs inter­rompue. La veille, je lui écrivais : ce texte tombe à point puisqu’il décrit l’évo­lu­tion nihiliste de notre société, mais dans le même temps, il est peu à même d’ac­com­pa­g­n­er des lecteurs déprimés.

Ce que font les pro­fes­sions san­i­taires, c’est bien — très bien. Je ne les applaud­is pas: com­plète­ment stu­pide. Féliciter ces prati­ciens généreux de l’in­térieur avancé de son loge­ment, c’est se laver les mains du prob­lème. Or, il n’y a pas aucun besoin de se laver les mains. Le con­trat est cap­i­tal­iste. Et sol­idaire. Par l’im­pôt, le tra­vailleur paie. Les prati­ciens encais­sent. Fonc­tion­naires, ils opèrent selon le cahi­er des charges. Lequel con­tient le cas d’ex­cep­tion. Fan­taisie antécé­dente des Répub­li­cains les plus cyniques qu’ait con­nu cette famille poli­tique aux Etats-Unis, le fils Busch val­i­dant la doc­trine du “zéro mort”. Pour rap­pel, il s’ag­it de guer­roy­er sur des théâtres exo­tiques (à l’époque l’Afghanistan) tout en lim­i­tant a min­i­ma — “0” — le nom­bre des morts côté force d’in­va­sion. Cha­cun, dans une société de l’échange via le marché uni­versel, signe un con­trat; il assure alors son exis­tence, définit son statut, déter­mine sa pro­mo­tion. Dont acte: le per­son­nel médi­cal s’en­gage et hon­ore. Pour nous tous, de même. A l’échelle de notre engage­ment. Un vagabond ne signe pas avec la société de la même manière qu’un chimiste ou qu’un maçon. Quant à l’écrivain il s’en­gage à ne pas dire (trop) de con­ner­ies — je signe.

Pen­dant ce temps, l’Alle­magne qui compte des cen­taines de mil­liers de chômeurs, fait venir 40’000 saison­niers pour tra­vailler aux récoltes et l’U­nion annonce inté­gr­er, en prél­e­vant sur les camps d’en­vahisseurs de Grèce ori­en­tale, mil sept cent jeunes hommes.

A l’Esco­r­i­al, province de Castille, au plus fort de la crise baroque Philippe II fes­toy­ait en son palais, mais dans le peu­ple de même, en dépit des souf­frances et à la mesure des moyens, sym­bol­ique­ment fasciné par l’in­ver­sion de la pyra­mide des valeurs, cha­cun met­tait bas la morale pour se con­fron­ter à la vie.

La fic­tion est pas­sion­nante losqu’elle exprime les vues d’un homme. Aujour­d’hui, cela est rare. La fic­tion domine le réel, mais elle est conçue, jouée et enfin canal­isée par des col­lec­tiv­ités à des­ti­na­tion d’autres col­lec­tiv­ités. Ce qui dis­tingue ces deux col­lec­tiv­ités, c’est le nom­bre de leurs par­tic­i­pants. Quelques mil­liers dans la pre­mière, qui agit, quelques mil­liards dans la sec­onde, qui subit.

Le pape, petit homme blanc dans le décor impér­i­al de Saint-Pierre, prêche le vide.

En ce début d’après-midi, sym­pa­thique entraîne­ment, par un beau soleil, avec deux Saou­di­ens venus du Sana­to­ri­um. Le troisième com­père donne les exer­ci­ces musique rap au sol tan­dis que je répète mes coups de pied con­tre le pylône. Gala, pour une fois sor­tie, se balade sur le para­pet qui domine la val­lée. De retour dans l’ap­parte­ment Alpha, je me rep­longe dans mes recherch­es sur la poli­tique bir­mane dont Evola me dit, “vu les cir­con­stances, cela n’in­téressera personne”.

Dans l’imag­i­naire des peu­ples du tiers-monde, l’Oc­ci­den­tal jouit encore d’un pres­tige inouï. Face à traîtrise, ici-bas, dans l’Eu­rope, des milieux d’Ar­gent et leurs fac­to­tums politi­ciens, tous autant qu’ils sont effi­cace­ment sec­ondés en cette fin de course de la civil­i­sa­tion blanche par des cohort­es de naïfs à qui est d’ores et déjà van­té le main­tien des avan­tages cor­po­ratistes, mieux vaut pour les ama­teurs de lib­erté se propulser dans les sociétés iniques du tiers-monde où ils béné­ficieront tacite­ment d’un sauf-con­duit sym­bol­ique plutôt que de baiss­er la tête et sen­tir le poids du licou. Pour ne pas répéter ce que je dis depuis plus de trente ans (le jour de la nais­sance de mon fils, 1999, je sus­pendais un cal­i­cot au bal­con du squat des Eaux-Vives, Genève, récla­mant que l’on abat­te cet homme) : l’en­ne­mi pub­lic numéro un de la Suisse, orig­ine de tous les épigones, se nomme Klaus Schwab.

Pré­parez-vous à piétin­er votre télé­phone portable. “Je n’en ai jamais eu!”, telle doit être la réponse lorsque les mem­bres des corps inter­mé­di­aires, comme tou­jours aliénés, ver­rouil­lant en sit­u­a­tion d’ur­gence leur statut, exigeront l’ap­pli­ca­tion de règles arbi­traires, traçage, local­i­sa­tion, livre­ment des don­nées intimes.