Accidenté, je suis au lit. Le lit est poussé contre une paroi. Il fait nuit. Assis dans le lit, je roule le lit jusque dans la pièce voisine où dort Monfrère. Il est absent. Je vérifie les toilettes. Il est absent. Je vais au rayon pulls du Chinois, passe en revue les pulls, les trouve médiocres — “d’ailleurs, me dis-je, je les ais tous”. Une vendeuse chinoise me contrôle. Elle a détecté mon lit au moyen des caméras de vidéosurveillance. Il y a une autre cliente. Un femme. Elle est jeune, elles est rapide. Elle s’en va. “Un vieillard alité, me dis-je, et cependant, cette femme ignore que je me lève quand je veux et court et vole!”. Retour dans la pièce d’habitation. La vitrine donne dans la rue. C’est la nuit. Un homme ouvre la porte de l’extérieur. D’autres hommes suivent. Toute une bande. Des malfrats. Le chef exige que je paie où il me cognera. “Je n’ai pas oublié la somme que je dois à Devian le Juif, lui dis-je, combien?”. Deux cent francs. “C’est drôle, lui dis-je, vous jouez cette scène d’extorsion comme dans un film américain”, lui dis-je. Me tournant vers les enfants: “Vous voyez les enfants, avec la prostitution, le racket est le plus vieux métier du monde!”. Effrayée, ma fille Luv cherche de l’argent dans son portefeuille. “Luv, lui dis-je tout m’apercevant que je viens de prononcer son nom, il ne faut jamais dire son nom!”.
Bascule
Les élites d’école installées de l’Occident seront défaites par les élites des pays nouveaux. Dans leur conquête du pouvoir, ces dernières ont besoin du peuple. Elles lui redistribuent la part nécessaire. Arrivées par cooptation, les premières croient pouvoir se passer du peuple : c’est lui qui se passera d’elles.
Terrain
Six mois que nous parlons de labourer le carré aux patates de Piedralma. En octobre, j’ai commencé de retirer les feuilles de plastique encore enterrées suite au démontage de la serre. Travail long et pénible. Il faut tirer avec soin sur ces langues opaques si l’on veut éviter de les briser. A Noël, nous décidions de demander à un paysan de venir avec son tracteur. Ramasser les miettes coûterait moins d’e temps d’efforts que les extraire. Début du mois, Evola en revient à ma première solution: louer un motoculteur. Hier, veille du rendez-vous le terrain de cet après-midi, il dit: “J’ai lu le Guide de l’autosuffisance, labourer est inutile, c’est de l’illusion industrielle, il faut faire de la permaculture, on mélange les plantes, on laisse les racines, on utilise les mauvaises herbes…”.
Barajas-Madrid
Dans un parc public, sur un banc, en face de la station de métro de Barajas, près de l’aéroport de Madrid. J’attends Aplo. L’avion a du retard. Non loin, un jeune homme au téléphone. Il enchaîne les appels. Dans la conversation, il est question de tarifs à l’heure, d’abonnement, d’avantages. Au bout d’une heure, il est satisfait. Il range son téléphone, sort de son sac à dos une vaisselle de plastique, déballe couteau et fourchette. Je lui souhaite un bon appétit. A peine a‑t-il commencé de manger, le téléphone sonne. Cette fois la conversation ne laisse aucun doute: “elle t’attendra devant l’hôtel, si vous pouvez entrer séparément c’est mieux, pour le tarif c’est comme d’habitude…”. Le type est un proxénète. Quand il a fini son repas, il roule trois cigarettes, allume la première, empoche les autres, se lève: “alors bonne journée Monsieur!”.
Route 4
Fin d’étape à Consuegra, dans la Province de Tolède. L’esplanade des caravanes se trouve en dessous des moulins, la ville est à mes pieds. Un pasteur promène ses chèvres. Bruits de voix qui montent des rues. Soleil orangé. Les rampes du stade s’allument, des gosses jouent au foot. En direction de Mascaraque, la piste de corrida. C’est dans cette campagne que se déroule mon Histoire des trois tables isocèles de Francisco l’Anchoa, le roman picaresque écrit pour l’anniversaire des vingt ans de Luv.
Route 3
Détour de cent kilomètres pour me promener sur les aires d’atterrissage de l’aéroport de Ciudad Real. Construit aussitôt abandonné. Il n’a jamais servi. Si je me souviens bien, il y a quelques années, il a été mis aux enchères par l’Etat. Des Chinois l’auraient acquis pour 1 Euro. Une dizaine d’avions sont garés sur la tarmac. Du stockage. Halles des départs, tour de contrôle, halles de fret, parkings, pistes tout est silencieux. J’essaie de pénétrer dans l’un des terminaux, mais il y a des flics qui s’entraînent à je ne sais quoi. Je remonte dans le bus, vais voir le Centre des visites, un bâtiment circulaire posé sur la colline. Forme babélique, forme d’un pâté. Le vent fait trembler les panneaux de couverture. Il en a emporté la moitié. De l’esplanade du Centre on voit une passerelle géante qui émerge du terminal passagers et barre l’horizon. Elle devait rejoindre la future gare TGV. Je m’en vais, un train passe.
Route 2
La gardienne de la “Tour du vin” ne me lâche plus. Elle aussi écrit. Elle a étudié la sociologie. “Intéressant”, lui dis-je. “Vous trouvez?”, me répond-elle. Je vais partir. “Vraiment? Est-ce que j’ai vu toutes les salles du musée? La laboratoire par exemple?”. Car il y a au pied de la Tour une exposition didactique sur la vinification. Des panneaux écrits, des photographies d’archive, une chronologie. J’entre, je ressors: trop fatigué pour lire. La gardienne me dit qu’elle a écrit un essai sur les attentats du 11M (attaque terroriste de la gare d’Atocha-Madrid le 11 mai 2004). Pas un livre, une enquête: “et j’ai trouvé la vérité, le gouvernement à menti”. Au hasard, je fais: “ce ne sont pas les Arabes?”. “Non, bien entendu”, fait la gardienne. Nous échangeons nos adresses mails. Au supermarché j’achète des glaçons et de la Skol. Dans une épicerie à l’ancienne, deux pains. Le bus est maintenant rangé sur un vaste terrain adossé la vigne, derrière une chapelle, l’Ermita San Cristobal. Je lave une salade, je bois la bière, je fais mon lit à bord du bus, drape safran, oreiller safran, duvet de plumes hongrois. Il n’y a pas un bruit, juste un chien qui aboie au loin. La chapelle reste éclairée toute la nuit. Au réveil, j’ai un message de la gardienne sur mon téléphone: “comment as-tu trouvé mon village?”.
Route
Déposé ce matin Gala à l’aéroport d’Alicante. Couché de bonne heure, réveillé de bonne heure. Pas dormi. A bord de la camionnette, je roule à travers les amandiers en fleurs. Plus loin, ce sont les mines de souffre, puis les reliefs volcaniques. L’œil a demi-fermé je vais lentement, j’évite l’autoroute, je traverse des hameaux, bois un café, parle avec les vieillards assis sur les places et devant les églises. Les amandiers sont roses, la terre est rouge. J’écoute Manchester Orchestra et REM. En début d’après-midi, après un menu dans un restaurant pour camionneurs, j’engage le bus sur une route abandonnée (en attente d’immeubles qui ne seront jamais construits) et dors. Le soir, j’atteins Socuéllamos, l’un des chefs-lieux de la région viticole de Valdepeñas, bourgade de maisons d’un étage sur un plateau. Au milieu de ses quartiers tracés au cordeau, une “Tour du vin”. Etroit mirador métallique de dix étages auquel le visiteur accède au moyen d’un ascenseur. C’est un musée. Qu’y a‑t-il à voir? La ville de Socuéllamos et ses vignobles. J’acquitte le prix du billet, trois Euros. Je monte. Voici la première “curiosité” de mon livre des “Curiosités espagnoles”.
Urbanización Eden
En fin de compte, le quartier satellitaire et ses façades de villas mitoyennes en sucre est le meilleur endroit. Il est silencieux, arboré, confortable, inhabité en cette saison. Maintenant que le vent est tombé, la température est constante: entre vingt-cinq et trente degrés. Après le petit-déjeuner et la consultation des journaux, je vais à la piscine où je suis seul. Nous mangeons, je fais la sieste. Si Gala ne veut pas sortir, je m’occupe des achats. Il y a un supermarché sur un terrain vague à un kilomètre de l’urbanización. Puis je me mets à la bière. La nuit venue, Gala regarde une série au salon, je lis de la philosophie au lit.